De l’enseignement privé, de la DAF, de l’IGESR et de la DGESCO : réflexions et revendications à partir du rapport Vannier / Spillebout

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire portant sur les modalités de contrôle par l’Etat et la prévention des violences dans les établissements scolaires, présidée par Fatiha Keloua Hachi, avec les co-rapporteurs Paul Vannier et Violette Spillebout, a été rendu public ce mercredi 2 juillet. Il remet en débat la question de l’enseignement privé. Les recommandations qu’il formule sont particulièrement intéressantes en matière de politique scolaire. Mais plusieurs d’entre elles interrogent le fonctionnement de notre administration centrale. La CGT Educ’action propose d’en tirer toutes les conséquences !

La question de l’enseignement privé, une question centrale pour le système éducatif

L’enseignement privé, c’est 2 millions d’élèves, représentant 13% des effectifs du primaire et 21% de ceux du secondaire (17,6% de l’ensemble des élèves). Sans aucune contrainte de carte scolaire, ni obligations en matière mixité sociale et scolaire, c’est un pan entier du système éducatif qui contourne l’enseignement public avec la bénédiction de l’État. L’enseignement privé, c’est aussi un financement public (Etat et collectivités territoriales) à hauteur de 75% minimum ; en ce domaine, l’approximation règne puisque aucune autorité publique, y compris la Cour des comptes, n’est en capacité d’établir à l’euro près le montant exact de la dépense consacrée à l’enseignement privé sous contrat. Enfin l’enseignement privé a reçu un soutien politique et symbolique fort par différents ministres (de droite) de l’éducation : on se souvient par exemple de l’argumentation mensongère avancée par Amélie Oudéa Castéra qui dénigrait l’enseignement public pour justifier la scolarisation de ses enfants dans l’enseignement privé.

Or la question de l’enseignement privé avait quasi disparue des débats publics après l’échec du ministre Alain Savary de construire un service public laïque et unifié de l’éducation. Mais depuis quelques années, elle revient fort justement sur le devant de la scène. Un rapport de la Cour des comptes paru en 2023 et un rapport parlementaire sur le financement de l’enseignement privé publié en 2024 ont invité à interroger les modes de financement et la relation contractuelle entre l’Etat et les établissements privés. L’enquête administrative diligentée au collège Stanislas par le ministre Pap Ndiaye, suite à des articles de Médiapart et de Brut sur des faits d’homophobie et de sexisme, a également posé la question du contrôle exercé par l’Etat sur l’enseignement privé. Et ce débat est plus que nécessaire pour le service public d’éducation et pour le sens de nos missions !

Principaux enseignements de la commission d’enquête parlementaire

Née à la suite des révélations sur des faits de violences à Notre-Dame-de-Bétharram durant plus d’un demi-siècle, la commission d’enquête parlementaire, transpartisane, vient de publier son rapport, dans un volumineux document de plus de 600 pages, annexes comprises. Il est rendu public après des trois mois d’auditions avec des révélations terrifiantes sur l’ampleur et la nature des violences commises par des adultes sur des élèves, notamment dans les établissements d’enseignement privé sous contrat, y compris leurs internats, et sur l’absence quasi totale de leur contrôle administratif et financier par les services de l’Education nationale, alors que la loi Debré, qui les régit depuis 1959, les prévoit expressément. Les cinquante recommandations de la commission sont organisées autour de cinq axes :

1.       Reconnaître les victimes de violences commises en milieu scolaire, ce qui suppose de produire et de rendre publiques chaque année des données chiffrées par académie et par type d’établissements (degré, statut) permettant de mesurer les violences commises par des adultes sur des élèves en milieu scolaire, en consolidant l’ensemble des données ;

2.      Protéger les élèves avec notamment le contrôle de l’honorabilité des membres du personnel et des bénévoles des établissements scolaires publics ET privés, au moment de leur recrutement puis tous les trois ans (proposition que la CGT Educ’action avait formulée lors de l’audience qui lui avait été accordée par le cabinet de la ministre le 5 mai dernier) ;

3.       Soutenir les personnels pour lutter contre les violences en milieu scolaire et structurer une culture du signalement avec la création d’une cellule nationale Signal Educ, à l’image de Signal Sports, placée auprès du ministère de l’Education nationale et composée des membres des corps d’inspection, de magistrats et de personnalités qualifiées issues d’associations de protection de l’enfance partenaires du GIP-France enfance protégée et d’associations regroupant des collectifs de victimes. Par ailleurs, la commission recommande « l’établissement d’un plan pluriannuel de recrutement de personnels sociaux et de médecine scolaire permettant la mise en place de lieux d’écoute dans les établissements publics du second degré et de couvrir les besoins constatés dans les écoles publiques primaires ».  A l’heure où la CGT’Educ’Action vient de quitter le GT des Assises de la santé scolaire parce qu’elle ne cautionne pas les choix budgétaires opérés dans ce cadre et conduisant de fait à la dégradation des conditions de travail des personnels et de l’accueil des publics, c’est une recommandation particulièrement bienvenue !

4.       Lever le tabou des contrôles de l’Etat sur les établissements privés sous contrat avec le rétablissement du dialogue de gestion et du suivi des établissements privés sous contrat, dans l’esprit de la loi Debré, à travers une relation direction entre ces établissements et les services déconcentrés du ministère de l’éducation nationale

5.       Refonder les inspections pour garantir la protection des élèves avec la pluridisciplinarité des professionnels composant la mission de contrôle en associant des psychologues, des assistants sociaux, des médecins etc.

Mais il est à noter que deux recommandations intéressent plus particulièrement les services de l’administration centrale. Nous vous proposons de les étudier plus précisément.

Transférer les prérogatives de contrôle de l’enseignement privé de la DAF à la DGESCO : la CGT soutient la proposition !

Une des recommandations vise ainsi à confier à la direction générale de l’enseignement scolaire les mêmes missions s’agissant des établissements privés sous contrat que celles qui lui sont confiées pour les écoles et établissements publics et donc de recentrer les missions de la direction des affaires financières sur les seuls domaines financiers :

Axe 4 recommandation 7 : « Confier à la direction générale de l’enseignement scolaire les mêmes missions, s’agissant des établissements privés sous contrat, que celles qui lui sont confiées pour les écoles et établissements publics. Recentrer le rôle de la direction des affaires financières sur les seuls domaines financiers. »

Pour rappel, alors que la DGESCO est responsable de programme budgétaire pour l’enseignement public (P 140, 141 et 230), c’est la DAF qui est responsable de programme pour l’enseignement privé (P 139) mais qui a également en charge toutes les « questions relatives aux établissements d’enseignement privés ». Concrètement, c’est une petite sous-direction, DAF D, qui gère la politique du ministère relative aux établissements privés. Autrement dit la politique relative à l’enseignement privé échappe complètement à la direction qui pilote la politique éducative du ministère, la DGESCO, et la DAF est bien peu armée pour assumer son rôle face à la puissance de l’enseignement privé. Autrement dit la politique relative à l’enseignement privé échappe complètement à la direction qui pilote la politique éducative du ministère, la DGESCO, et la DAF est bien peu armée pour assumer son rôle face à la puissance de l’enseignement privé. Dans les faits, c’est plutôt le secrétariat général de l’enseignement catholique, le SGEC, qui joue le rôle de ministère bis, en lien direct avec le directeur de cabinet du ministère.  Or ce rattachement revêtrait un en jeu d’importance : les moyens budgétaires accordés à l’enseignement privé seraient présentés lors des traditionnels dialogues de gestion et de performance avec les recteurs. Ce serait un premier pas vers un contrôle du ministère sur l’enseignement privé, un domaine dans lequel il a été bien peu entreprenant :  entre 2017 et 2023, les académies n’ont pu faire remonter que 12 contrôles sur l’ensemble des établissements privés ! Comme le note l’AEF, « Cette absence de contrôles de tous ordres n’a pu que nourrir l’atmosphère de vase clos et le sentiment d’impunité communs à l’ensemble des établissements dans lesquels ont été commises des violences systémiques ». Pour les rapporteurs, cette organisation participe en effet « de l’absence d’implication du ministère dans les questions pédagogiques et relatives au climat scolaire des établissements privés ». Il leur paraît que le transfert d’une partie des prérogatives de la DAF à la DGESCO, y compris en matière de contrôle, « contribuerait à améliorer ces derniers ».

La CGT Educ’action administration centrale est traditionnellement opposée aux réorganisations qui trop souvent répondent à des agents de communication. Mais pour une fois, et parce qu’ici nous avons ici un objectif politique clair, qui permettrait d’améliorer le service public et contribuerait à redonner du sens à nos missions, la CGT’Educ’Action est favorable à cette réorganisation et appelle la ministre à suivre les recommandations des rapporteurs !

Un pouvoir d’autosaisine pour l’inspection générale : la CGT est pour !

La deuxième recommandation de la commission d’enquête parlementaire qui porte spécifiquement sur l’administration centrale concerne l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Il s’agirait de lui conférer un pouvoir collégial d’auto-saisine et de lui permettre d’élargir le périmètre de ses contrôles :

Axe 5 recommandation 50 : « Conférer à l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche un pouvoir collégial d’autosaisine et lui permettre d’élargir le périmètre de ses contrôles, si nécessaire en faisant appel à d’autres services d’inspection. Constituer en son sein un comité de suivi chargé de suivre la mise en œuvre effective de ses recommandations et de formuler des avis, à l’intention de l’administration, sur d’éventuelles mesures conservatoires et disciplinaires. »

Aujourd’hui, l’IGESR n’intervient qu’à la demande de ses ministres de tutelle ou éventuellement du premier ministre. Le rapport pointe un risque de « faire de la saisine un outil de communication politique ». Or les rapporteurs soulignent aussi que l’indépendance des inspecteurs généraux pourrait être affectée, dans les années à venir, par leur affaiblissement statutaire issu de la réforme de la haute fonction publique et de la fonctionnalisation des inspections générales. L’absence de « droit de suite » de l’inspection générale constitue également une autre difficulté identifiée alors que, dans certaines inspections générales comme l’IGAS, le chef de service peut réunir un comité de suivi de ses recommandations. Il s’agirait de lui conférer un pouvoir collégial d’auto-saisine et de lui permettre d’élargir le périmètre de ses contrôles ou de suivre ses recommandations, sans demander l’avis du ministre. Cette proposition n’est pas issue de nulle part, elle renvoie à la manière dont Caroline Pascal, aujourd’hui DGESCO mais alors cheffe de l’IGESR, s’est permis de falsifier les conclusions de l’enquête administrative sur le collège Stanislas en affirmant que les faits d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme étaient inexistants et passés, alors même que l’équipe des inspecteurs généraux missionnés montrait l’inverse : ils étaient présents et actuels. D’ores et déjà, l’organisation du travail au sein de l’inspection générale avait été revue après ces révélations avec l’annonce de la suppression des lettres de transmission. Il nous semble nécessaire d’aller plus loin de permettre l’auto-saisine de l’IGESR !

Un devoir d’exemplarité pour tous ? Quid de la démission de la DGESCO ?

Selon l’article L 121-1 du code général de la fonction publique, « L’agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » La loi Blanquer de 2019 impose désormais une exigence d’exemplarité à l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, quel que soit leur statut (L. 111-3-1 du Code de l’éducation). Or cette affaire de la lettre de transmission du rapport sur le lycée Stanislas interroge sur l’exemplarité de l’actuelle DGESCO. De plus, Caroline Pascal avait déclaré sous serment, lors de l’audition devant la commission d’enquête parlementaire, que cette enquête administrative n’avait pas révélé d’homophobie systémique, alors que les procès-verbaux d’auditions d’élèves et de parents prouvaient le contraire. Ainsi les deux co-rapporteurs de la commission d’enquête ont interpellé la ministère de l’éducation dans un courrier pour lui faire part de leurs questionnements sur l’« intégrité » de la directrice de la DGESCO. Ils écrivent : « En tant que corapporteurs de la commission d’enquête, ayant recueilli ces témoignages sous serment, il est de notre devoir de vous signaler cette intervention de la cheffe de l’Inspection générale de l’époque qui soulève des interrogations quant à son intégrité professionnelle » et alors qu’elle est « aujourd’hui directrice générale de l’enseignement scolaire », et « exerce des responsabilités de tout premier plan, dont dépend la sécurité de millions d’élèves », concluent les deux députés. Ils appellent la ministre de l’Éducation à « prendre les mesures qui [lui] sembleront opportunes. » Le co-rapporteur de la commision, Paul vannier, a d’ailleurs demandé l’application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 qui prévoit des poursuites pénales pour faux témoignage devant une commission d’enquête parlementaire. Dans de nombreux pays, il serait inenvisageable qu’une responsable de haut rang reste en fonction après de telles révélations. Au vu de tous ces éléments, nous demandons la démission de Caroline Pascal.