Beau succès que cette conférence d’Emmanuel Dockès sur les contre-propositions en matière de code du travail. La salle Jean Dautet débordait ! L’exposé d’Emmanuel Dockès, très pédagogue et convainquant, portait principalement sur le projet de loi Travail. C’est plus dans les questions qu’il est revenu sur le contre-projet de code du travail simplifié et garantissant de nouveaux droits sur lequel travail le GR-PACT.
Il a insisté sur la longueur et la complexité du texte : contrairement à la communication du gouvernement, le projet de loi Travail ne simplifie pas le code du travail, il l’alourdit considérablement. Le projet en lui même fait 150 pages et augmente d’un quart le volume du code du travail…
Tout le travail du GR-PACT était de montrer qu’il était possible de réduire et simplifier le code du travail (tout en conservant et approfondissant les droits et protections pour les salariés). Or l’équipe a été très surprise de voir que le gouvernment n’avait même pas tenu le pari de faire cet exercice de simplification… Le GR-PACT a réussi à proposer un texte sur la partie « Temps de travail » qui réduit très largement le texte actuel (leur chapitre ne fait qu’1/3 du texte actuel !!). Le gouvernement s’en est avéré incapable et surtout ne l’a sans doute pas voulu.
L’exercice de la discussion du projet de loi a renforcé la complexité : chaque version présentée comportait d’importantes modifications. Des propositions étaient enlevées (d’où la communication de la CFDT !) mais à chaque fois, de nouvelles dipositions, souvent + régressives encore étaient ajoutées. Le résulta : plus personne n’y comprend rien à moins d’être un expert du code du travail ! Comment les députés peuvent exercer un vrai choix sur un texte aussi technique ? Comment les citoyens peuvent le juger ? Cette complexité est à l’opposé de l’objectif affiché de simplification. Mais de fait, elle a une forte utilité, elle permet que personne ne puisse contredire les experts et sert largement de camouflage aux énormes régressions que contient ce projet.
Cette complexité prouve aussi à quel point la communication selon laquelle ce texte permettrait aux PME d’y voir plus clair ne repose sur rien. Même la CGPME souligne que ce texte va principalement profiter aux grandes entreprises. Il est d’ailleurs issu d’un fort lobbying du MEDEF. Emmanuel Dockès a raconté combien le MEDEF a préparé, proposé de nombreuses dispositions de ce texte, disposant d’équipes de spécialistes qui font un travail de proximité auprès du gouvernement et des députés. Une telle complexité ne s’improvise pas et requiert des armées de techniciens !
Le gouvernement communique sur le « progrès social » qu’apporte le texte. Il est porteurs de régressions très importantes. Emmanuel Dockès n’est pas revenu sur les dipositions les + connues. Mais il a essayé de nous montré que le débat public était forcément passé à côté de nombreuses dispositions très problématiques :
Tri-annualisation du calcul des heures supplémentaires :
Le calcul des heures supplémentaires ne se fera plus sur un an mais sur 3 ans. Comment un salarié peut maintenir le compte de ses heures sur une telle période et l’opposer à son employeur ? C’est une demande qui émane des grands groupes pour ne (quasi) plus avoir à payer les heures supplémentaires. Il a souligné l’ironie de leur part quand elles se plaignent d’être payées sur 3 mois… Les salariés n’auraient-ils pas eux aussi des problèmes des problème de trésorerie ?
Temps de travail et temps de vie :
– diminution du délai de prévenance pour la date des congés annuels : jusqu’à présent l’employeur ne pouvait plus modifier la date des congés annuels au-delà de 1 mois avant la date des congés, ce délai saute…
– diminution du délai de prévenance pour les astreintes : jusqu’à présent, l’employeur devait avertir un salarié au minimum 15 jours avant l’astreinte, ce délai est largement réduit
Autant dire dans ces deux cas que le temps de vie du salarié est largement soumis aux contraintes de l’employeur et bien au-delà de son temps de travail…
Ce sont des dispositions qui encore une fois correspondent à des demandes des grandes entreprises et non des PME… et qui prouvent aussi à quel point le patronat est mesquin et compte la vie personnelle des salariés pour peu de chose.
Motivation du licenciement économique :
Règle mondiale aujourd’hui : nécessité de motiver le licenciement pour une cause réelle et sérieuse. Mais le droit actuel et la jurisprudence sur cette question de « cause réelle et sérieuse » étaient déjà très souple.
La définition donnée par la loi Travail est une vraie régression = difficultés de l’entreprises qui peuvent être (c’est précisé textuellement) baisse de trésorerie et même baisse du chiffre d’affaires pendant 1 à 4 trimestres. Or ces deux indicateurs ne sont pas des baisses des bénéfices !! En gros une entreprise pourra très facilement licencier…
Le contrôle du licenciement par le juge connaît également une vraie régression : le juge n’est plus compétent pour aller vérifier les données alléguées par l’entreprise au niveau du groupe, il ne peut plus aller vérifier les comptes des filiales, il doit s’en tenir à l’entreprise même… Autant dire que tous les jeux d’écriture comptable entre filiale vont être rendus possibles pour justifier des licenciements…
Accords de maintien de l’emploi
Dans le droit actuel, en cas de graves difficultés économiques, une entreprise peut aujourd’hui renégocier sa convention collective et imposer une révision à la baisse des droits accordés aux salariés. Dans ce cas, les salariés qui refusent le « bénéfice » de cette nouvelle convention collective peuvent être licenciés (la convention s’impose aux contrats individuels qui lui pré-existaient). Elle ne peut pas prévoir de baisse du salaire nominal mais… des baisses de salaire horaire (et donc prévoir des heures supplémentaires non payées !).
Avec le projet de loi, l’entreprise n’aura plus besoin de justifier de « graves difficultés économiques », il suffira qu’elle justifie d’actions pour préserver ou développer l’emploi. Autant dire que toutes les conventions collectives sont potentiellement éligibles à la révision : il n’y a pas d’action dans l’entreprise qui ne puisse être vue comme n’ayant pas d’impact sur l’emploi dans une définition aussi floue que « maintenir » ou « développer »…
Sur les négociations collectives et les accords d’entreprise
Emmanuel Dockès est revenu sur ce qui est présenté (et relayé par la CFDT) comme un progrès : donner plus de place à la négociation collective en donnant plus de place aux accords d’entreprise. Il a concédé que les conventions collectives sont aujourd’hui plutôt porteuses de progrès social (les syndicats, quels qu’ils soient, font jusqu’ici plutôt bien leur boulot de défense des salariés). Mais si l’on rend possible des enfers, ils vont finir par exister… C’est bien la raison pour laquelle il défend des règles appliquables partout et à tous et non à géométrie variable, dépendant du rapport de force dans l’entreprise et de la présence (et de la formation de leurs représentants !!) des organisations syndicales.
Dans les questions, il a précisé quelques éléments sur le CPA (compte personnel d’activité). Pour lui, y voir un grand progrès social reste de l’esbrouffe : on ne fait qu’unifier deux comptes qui existent déjà (pénibilité et formation) et qui sont très périphériques dans la vie des salariés. Il trouve d’ailleurs que la possibilité de convertir des trimestre acquis au titre de la pénibilité en formation est potentiellement une arnaque grave pour les salariés concernés…
Pour creuser la question des propositions du GR-PACT, visitez leur site : http://pact2016.blogspot.fr/
Vous y trouverez notamment leur premier travail, le chapitre consacré au temps de travail