« L’isolement de la ministre » et « le refus du mépris des personnels » : quand un (ex) directeur général prend la plume…

Travailler en administration centrale, c’est inévitablement devoir s’habituer à voir défiler les ministres et devoir apprendre à défendre de nouvelles orientations ou de nouveaux éléments de langage. Mais c’est aussi devoir faire face à des cabinets qui ne savent pas assez s’appuyer sur l’expertise des directions et des personnels qui les composent : cette mise à l’écart des agents, ce mépris de leurs compétences et de leurs connaissances de leur secteur épuise souvent les personnels autant qu’elle désespère. Travailler en administration centrale, c’est aussi trop souvent devoir faire face aux pressions des cabinets qui veulent une information pour hier ou une note pour l’heure qui précède et quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, le jour de la semaine… et surtout du week-end. Trop rares sont les directeurs qui osent s’interposer pour défendre leurs équipes ou se dresser face aux cabinets pour assumer leurs désaccords sur le fond avec les orientations politiques défendues. Trop rares sont les directeurs qui jouent leur rôle de protection des personnels face à la pression directe ou indirecte des cabinets.

Certains ont sans doute encore en mémoire la démission fracassante de Jean-Paul Delahaye, DGESCO de novembre 2012 à avril 2014, qui avait su protéger ses équipes face à la pression du cabinet. L’Express avait à l’époque fait fuiter un mail du DGESCO au cabinet du 19 février 2014 dans lequel il prenait explicitement et courageusement la défense de ses agents  : « A plusieurs reprises ces dernières semaines, des collaborateurs de la DGESCO (direction générale de l’enseignement scolaire ndlr) ont été pris à partie lors de réunions se déroulant hors de ma présence par le directeur de cabinet du ministre. Ils ont été l’objet d’accusations en « amateurisme », en « incompétence », la DGESCO ne serait « pas dirigée », les dispositifs voulus par le ministre ne seraient pas « pilotés », nos textes seraient « indigents », etc. Ces mises en cause ont profondément touché des fonctionnaires exemplaires et fortement investis dans leurs missions. En tant que directeur général je me dois de protéger les personnels de la DGESCO. C’est pourquoi, plus personne de la DGESCO ne participera à des réunions présidées par le directeur de cabinet hors de ma présence. C’est une décision qui prend effet immédiatement.« .

Le directeur général de la recherche et de l’innovation, Bernard Larroutourrou, vient de démissionner de ses fonctions au sein du MESRI après 27 mois d’exercice. Bernard Larroutourrou a adressé après le conseil des ministres de ce mercredi 25 novembre un courrier aux personnels de la DGRI que vous trouverez en lien et qui est révélateur de la difficulté qu’a notre administration centrale à être associée pleinement aux travaux des cabinets, même et peut-être surtout à l’occasion de réformes importantes. Cette lettre aux personnels est aussi tristement révélatrice du mépris dans lequel sont trop souvent tenus les personnels par les cabinets

Florilège :

« Je ne m’y suis résolu que parce que l’isolement – entretenu par la direction du cabinet – de la ministre, avec laquelle les directeurs généraux n’ont eu aucun échange depuis plus de six mois, et les difficultés aigües qui persistent depuis un an et demi en matière de relations de travail entre le cabinet et les services ont installé un véritable empêchement – voire une impossibilité – pour la conduite d’une partie des actions que la DGRI doit porter. Ces derniers mois j’ai demandé de façon répétée que les services cessent d’être tenus à l’écart de certaines réflexions clés ou de la préparation de certains  arbitrages majeurs, et qu’à tout le moins ils aient les informations minimales leur permettant de ne pas être en porte-à-faux vis-à-vis des interlocuteurs externes. Lorsque l’impossibilité est avérée et obère une part croissante de notre capacité d’action, lorsque la ministre et la direction du cabinet n’y portent aucune attention, je ne peux qu’en tirer les conséquences, et m’en expliquer auprès d’eux de façon franche et responsable. » 

« Pour donner un exemple, essentiel, je pense que mon choix d’exprimer de façon constante mon refus lorsqu’elle a traité avec mépris et humilié des personnes de la DGRI, ou lorsqu’elle a exigé arbitrairement la mise à pied de tel cadre de nos équipes, n’était pas acceptable aux yeux de la direction du cabinet. » 

Ce que cette lettre dit aussi, c’est à quel point le rythme effréné des réformes empêche trop souvent les directeurs de se rendre disponible pour tous les dossiers moins visibles, moins porteurs que l’immense majorité d’entre nous portons – et c’est fort regrettable :  

« Bien sûr, tout n’a pas été parfait. J’ai des regrets concernant plusieurs sujets sur lesquels j’aurais voulu apporter davantage au service des politiques publiques que porte notre ministère. Je tiens aussi à vous dire que j’ai eu de grands regrets depuis l’été 2019 du fait que, n’ayant pas vu d’autre voie pour mener le chantier d’élaboration de la LPR qu’en m’impliquant très fortement, j’ai manqué de disponibilité pour beaucoup d’autres tâches importantes, qu’il s’agisse de sujets de management interne ou d’amélioration de nos conditions de travail, de l’approfondissement de nos relations avec les rectorats ou de plusieurs autres registres de notre action qui ont souffert de mon implication insuffisante . »

Nous savons tous qu’il y a bien d’autres directions, aujourd’hui comme hier, qui ont connu ces méthodes de travail et ces relations avec nos cabinets passés ou présents. Il est peut-être temps que les directeurs prennent la parole avant de devoir démissionner. Il est surtout temps d’inventer d’autres modes de travail qui mettent l’intérêt général au cœur de nos préoccupations plutôt que l’agenda médiatique de tel ou tel ministre et qui permettent aussi de protéger les personnels et valoriser leurs compétences et leurs connaissances du système d’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche…